. L'agonie d'une civilisation
Le crime décisif a été le meurtre de ce pays occitanien
« Rien ne vaut la piété envers les patries mortes. Personne ne peut avoir l'espoir de ressusciter ce pays d'Oc. On l'a, par malheur, trop bien tué. Cette piété ne menace en rien l'unité de la France, comme certains en ont exprimé la crainte. Quand même on admettrait qu'il est permis de voiler la vérité quand elle est dangereuse pour la patrie, ce qui est au moins douteux, il n'y a pas ici de telle nécessité. Ce pays, qui est mort et qui mérite d'être pleuré, n'était pas la France. Mais l'inspiration que nous pouvons y trouver ne concerne pas le découpage territorial de l'Europe. Elle concerne notre destinée d'hommes. »
« Beaucoup de crimes et d'erreurs. Le crime décisif a peut-être été le meurtre de ce pays occitanien sur la terre duquel nous vivons. Nous savons qu'il fut à plusieurs égards le centre de la civilisation romane. Le moment où il a péri est aussi celui où la civilisation romane a pris fin. »
« Beaucoup de crimes et d'erreurs. Le crime décisif a peut-être été le meurtre de ce pays occitanien sur la terre duquel nous vivons. Nous savons qu'il fut à plusieurs égards le centre de la civilisation romane. Le moment où il a péri est aussi celui où la civilisation romane a pris fin. »
— Simone Weil, En quoi consiste l'inspiration occitanienne? Domenico Canciani, "Des textes dont le feu brûle encore... Simone Weil, les Cahiers du Sud et la civilisation occitanienne", Cahiers Simone Weil, 2002, vol. 25, no 2, pp. 89-131 En quoi consiste l'inspiration occitanienne? par Simone Weil
Les attaches de cette civilisation étaient aussi lointaines dans le temps que dans l'espace. Ces hommes furent les derniers peut-être pour qui l'antiquité était encore chose vivante. Si peu qu'on sache des cathares, il semble clair qu'ils furent de quelque manière les héritiers de la pensée platonicienne, des doctrines initiatiques et des Mystères de cette civilisation pré-romaine qui embrassait la Méditerranée et le Proche-Orient; et, par hasard ou autrement, leur doctrine rappelle par certains points, en même temps que le bouddhisme, en même temps que Pythagore et Platon, la doctrine des druides qui autrefois avait imprégné la même terre. Quand ils eurent été tués, tout cela devint simple matière d'érudition. Quels fruits une civilisation si riche d'éléments divers a-t-elle portés, aurait-elle portés? Nous l'ignorons; on a coupé l'arbre.
C'est une civilisation de la cité qui se préparait sur cette terre, mais sans le germe funeste des dissensions qui désolèrent l'Italie; l'esprit chevaleresque fournissait le facteur de cohésion que l'esprit civique ne contient pas. De même, malgré certains conflits entre seigneurs, et en l'absence de toute centralisation, un sentiment commun unissait ces contrées ………....Il en était tout autrement dans les pays d'où provenaient les vainqueurs de cette guerre; là, il y avait non pas union, mais lutte entre l'esprit féodal et l'esprit des villes. Une barrière morale y séparait nobles et roturiers. Il devait en résulter, une fois le pouvoir des nobles épuisé, ce qui se produisit en effet, à savoir l'avènement d'une classe absolument ignorante des valeurs chevaleresques; un régime où l'obéissance devenait chose achetée et vendue; les conflits de classes aigus qui accompagnent nécessairement une obéissance dépouillée de tout sentiment de devoir, obtenue uniquement par les mobiles les plus bas. Il ne peut y avoir d'ordre que là où le sentiment d'une autorité légitime permet d'obéir sans s'abaisser; c'est peut-être là ce que les hommes d'oc nommaient Parage. S'ils avaient été vainqueurs, qui sait si le destin de l'Europe n'aurait pas été bien différent? Plus de deux siècles avant Jeanne d'Arc, le sentiment de la patrie, une patrie qui, bien entendu, n'était pas la France, fut le principal mobile de ces hommes;
C'est une civilisation de la cité qui se préparait sur cette terre, mais sans le germe funeste des dissensions qui désolèrent l'Italie; l'esprit chevaleresque fournissait le facteur de cohésion que l'esprit civique ne contient pas. De même, malgré certains conflits entre seigneurs, et en l'absence de toute centralisation, un sentiment commun unissait ces contrées ………....Il en était tout autrement dans les pays d'où provenaient les vainqueurs de cette guerre; là, il y avait non pas union, mais lutte entre l'esprit féodal et l'esprit des villes. Une barrière morale y séparait nobles et roturiers. Il devait en résulter, une fois le pouvoir des nobles épuisé, ce qui se produisit en effet, à savoir l'avènement d'une classe absolument ignorante des valeurs chevaleresques; un régime où l'obéissance devenait chose achetée et vendue; les conflits de classes aigus qui accompagnent nécessairement une obéissance dépouillée de tout sentiment de devoir, obtenue uniquement par les mobiles les plus bas. Il ne peut y avoir d'ordre que là où le sentiment d'une autorité légitime permet d'obéir sans s'abaisser; c'est peut-être là ce que les hommes d'oc nommaient Parage. S'ils avaient été vainqueurs, qui sait si le destin de l'Europe n'aurait pas été bien différent? Plus de deux siècles avant Jeanne d'Arc, le sentiment de la patrie, une patrie qui, bien entendu, n'était pas la France, fut le principal mobile de ces hommes;
. Par la suite, (après la croisade albigeoise) le destin de ce pays eut longtemps encore quelque chose de tragique. Un siècle et demi plus tard, un oncle de Charles VI le traitait en pays conquis, avec tant de cruauté que quarante mille hommes s'enfuirent en Aragon. Il eut encore des frémissements à l'occasion des guerres religieuses, des luttes contre Richelieu, et fut maintes fois ravagé; l'exécution du duc de Montmorency, mis à mort à Toulouse parmi la vive douleur de la population, en marque la soumission définitive. Mais à ce moment, ce pays, depuis longtemps déjà, n'avait plus d'existence véritable; la langue d'oc avait disparu comme langue de civilisation, et le génie de ces lieux, bien qu'il ait influé sur le développement de la culture française, n'a jamais trouvé d'expression propre après le xiiie siècle.
Extraits de : Simone Weil, L'agonie d'une civilisation vue à travers un poème épique(1940), Cahier du Sud, Simone Weil, éd. Cahier du sud, 1942, p. 105; republié dans Le Génie d'Oc, février 1943 (publié par Wikipédia : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Occitans)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Simone_Weil
Extraits de : Simone Weil, L'agonie d'une civilisation vue à travers un poème épique(1940), Cahier du Sud, Simone Weil, éd. Cahier du sud, 1942, p. 105; republié dans Le Génie d'Oc, février 1943 (publié par Wikipédia : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Occitans)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Simone_Weil
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« La royauté française s’installe ainsi dans le sud du pays, et l’unité nationale fut renforcée par la destruction d’une civilisation pénétrée de beauté et avide de jouissance qui s’était développée à part… Les longues dévastation et l’intrusion des Français, éléments étrangers, ont eu pour résultat de donner le coup de grâce à ce monde chatoyant, dans lequel se reflétaient à la fois l’Antiquité, l’Orient et le Moyen-Age féodal » ( K. Hampe, Le haut Moyen-Age, traduit de l’allemand par Mll. Desanti, Gallimard).
« La royauté française s’installe ainsi dans le sud du pays, et l’unité nationale fut renforcée par la destruction d’une civilisation pénétrée de beauté et avide de jouissance qui s’était développée à part… Les longues dévastation et l’intrusion des Français, éléments étrangers, ont eu pour résultat de donner le coup de grâce à ce monde chatoyant, dans lequel se reflétaient à la fois l’Antiquité, l’Orient et le Moyen-Age féodal » ( K. Hampe, Le haut Moyen-Age, traduit de l’allemand par Mll. Desanti, Gallimard).
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